
La danse sur glace traverse l’une des saisons les plus tendues de son histoire.
Qu’il s’agisse de champions du monde, de duos confirmés, de jeunes en ascension ou même de juges habitués aux polémiques, plus aucun acteur majeur ne semble comprendre comment les niveaux techniques sont établis, comment les composantes sont attribuées, ni pourquoi les protocoles varient autant d’une étape à l’autre.
Ce qui se joue aujourd’hui dépasse le cas d’un duo ou d’une fédération : c’est toute la crédibilité de la discipline qui est remise en cause.
Un effondrement de notes qui choque tout le circuit
Depuis le début du Grand Prix, les anomalies se succèdent :
- des choréséquences non créditées malgré des programmes déjà vus et validés,
- des pistes de motifs systématiquement rétrogradées au niveau 1 ou base, parfois pour l’ensemble des participants,
- des patineurs médaillés mondiaux incapables d’obtenir les niveaux qu’ils maîtrisent depuis des années,
- des écarts de notation extrêmes selon les compétitions… et parfois selon les juges d’un même panel.
Lors de l’étape de Lake Placid (US), la situation a atteint un niveau jamais observé :
- seuls 2 couples sur 10 ont obtenu un niveau 2 sur la piste de type motif ;
- aucun duo n’a dépassé 30 points de base en danse rythmique ;
- en danse libre, seul Evan Bates (US) a atteint un niveau 3 sur la piste à une jambe ;
- la plupart des couples, y compris des multi-médaillés, ont obtenu des scores inférieurs à ceux des Shibutani (US), pourtant de retour après sept ans d’absence.
Difficile, dans ces conditions, de croire à une baisse mondiale et simultanée du niveau technique.
Le cas Guignard/Fabbri
Lors de la 1ere étape du Grand Prix, Guignard/Fabbri, triple champions d’Europe, médaillés mondiaux et l’un des duos les plus constants du circuit, se retrouvent mystérieusement rétrogradés. Leur danse rythmique reçoit un 77,25, leur libre un 118,73 : des scores très en dessous de leur niveau habituel, sans erreur visible qui pourrait le justifier.
La surprise se transforme en incompréhension lorsque l’on observe le détail des protocoles.
Un juge, le juge lituanien Laimutė Kraużienė, leur donne des composantes de 7 à 10 points inférieures à la moyenne du panel. Dans la rythmique, son score dévie de –3,66 points par rapport aux autres juges ; dans le libre, de –7,16 points. À l’inverse, elle surévalue nettement le couple de son propre pays, Reed/Ambrulevičius.
De tels écarts sont anormaux. Dans un sport où les variations se comptent en dixièmes, cette disproportion met en doute l’impartialité du jugement.
Une crise qui dépasse les Italiens : une discipline qui ne comprend plus ses propres règles
Le scandale Guignard/Fabbri n’est que la partie visible d’un malaise bien plus profond. Il survient dans une saison déjà fragilisée par des dérèglements structurels qui touchent l’ensemble du circuit.
Autrement dit, la discipline elle-même ne parvient plus à appliquer ses propres règles. Patineurs, entraîneurs et spécialistes décrivent un système devenu un véritable labyrinthe, où même les professionnels ne savent plus à quoi s’attendre.
Face à l’effondrement inexplicable des scores de Guignard/Fabbri, plusieurs hypothèses ont circulé : sanction pour manque de renouvellement, rééquilibrage politique entre fédérations, ou simple application d’une nouvelle tendance où l’ISU privilégie les programmes “jeunes”, pop et médiatiquement attractifs.
Un code technique devenu illisible
À cette instabilité s’ajoute la complexité croissante du code technique. Les symboles, critères, pénalités, “!”, niveaux intermédiaires et annotations obscures forment désormais un langage que seule une poignée de spécialistes maîtrise encore.
Un paradoxe pour une discipline qui cherche à toucher un public plus large, mais dont les propres athlètes avouent ne plus comprendre certains aspects techniques.
Une esthétique imposée : la dérive la plus visible
Enfin, une inquiétude grandit sur le plan artistique : l’impression que l’ISU impose progressivement une esthétique unique. Les thèmes pop, les tempos rapides, les programmes calibrés pour générer des extraits “tiktokkables” semblent désormais favorisés.
Les couples aux identités classiques, raffinées ou narratives sont mécaniquement désavantagés… Non pas parce qu’ils patinent moins bien, mais parce que leur style ne correspondent pas à une trend instagramable.
Une question désormais: est-ce encore un sport ?
Dans tout le milieu, une interrogation circule désormais : la danse sur glace mérite-t-elle encore d’être considérée comme un sport ?
Quand les niveaux ne reflètent plus la performance, que les juges se contredisent, qu’un seul panel peut renverser un podium et qu’un règlement opaque rend toute anticipation impossible, la dimension sportive vacille.
Le cas Guignard/Fabbri n’a pas créé la crise : il l’a révélée !
Tant que la danse sur glace ne retrouvera pas des règles claires, stables et uniformément appliquées, chaque compétition risque d’être entachée de soupçons. Pour survivre en tant que sport, la danse sur glace doit retrouver ce qui faisait sa force : la cohérence, l’exigence et la confiance.
Rédigé par
Delphine Toltsky
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Mon site est consacré au patinage artistique, mais il va bien au-delà de la simple performance sportive.
J’y explore aussi les réalités complexes qui entourent les athlètes de haut niveau : dopage, harcèlement, tca, santé mentale.
J’aborde également les questions de genre ainsi que les dimensions politiques et géopolitiques du sport, pour proposer une réflexion critique sur le monde du patinage et, plus largement, sur l’univers du sport.
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