
Diana Davis a longtemps choisi de se taire. La patineuse artistique russe qui représente la Géorgie, engagée en danse sur glace avec son mari et partenaire Gleb Smolkin, a grandi et construit sa carrière en étant atteinte de surdité. Aujourd’hui, elle a décidé de lever le voile sur une réalité intime et douloureuse : cette surdité neurosensorielle bilatérale de grade 3, parfois évaluée jusqu’au grade 4, dont elle souffre depuis l’enfance naît d’une erreur médicale.
Dans un message publié en russe et en anglais sur les réseaux sociaux, puis dans une longue interview, Diana Davis a raconté son histoire.
Une enfance bouleversée par une erreur médicale
Diana Davis n’est pas née avec des troubles auditifs. Jusqu’à l’âge de deux ans, elle entendait parfaitement, réagissait aux bruits et se développait comme n’importe quel enfant. Tout a basculé lors d’un séjour en Turquie, où une maladie sévère accompagnée d’une forte fièvre a conduit à la prescription d’une dose inadaptée d’antibiotiques. Sa température corporelle a chuté brutalement, provoquant des conséquences irréversibles sur son nerf auditif.
Après cet épisode, le changement est radical. Selon les souvenirs de sa mère, Eteri Tutberidze, Diana devient silencieuse, renfermée, cesse de parler et ne réagit presque plus à son environnement. Il faudra attendre l’âge de quatre ans pour qu’elle recommence lentement à s’exprimer, avec une diction différente, marquant le début d’un long parcours médical et orthophonique.
Les examens auditifs se succèdent. Ce n’est qu’après des tests manuels que les médecins confirment le diagnostic : une surdité neurosensorielle, liée à une atteinte du nerf auditif, incurable par chirurgie.
Grandir avec un handicap invisible
À l’école, les difficultés se développent. Diana entend les sons, mais ne les comprend pas toujours. Certaines consonnes lui échappent, notamment les sifflantes, et certaines fréquences sont totalement absentes de son champ auditif. Cette altération de la compréhension orale entraîne des situations humiliantes : dictées ratées, phrases manquées, mots devinés.
Les moqueries, l’incompréhension et le sentiment d’être « différente » la rendent timide et réservée. À la patinoire comme à l’école, certains enfants cherchent à la provoquer. Ne comprenant pas immédiatement une question aussi simple que « comment tu t’appelles ? », elle répond parfois « je ne sais pas », déclenchant des rires cruels.
Les appareils auditifs et le traumatisme du nerf trijumeau
Dès l’âge de sept ans, Diana porte des appareils auditifs. Une expérience éprouvante, tant physiquement que psychologiquement. Les réglages doivent être extrêmement précis et fréquents, nécessitant des visites trimestrielles en clinique. Lorsqu’elle retire les appareils, le monde semble encore plus silencieux qu’avant, comme si sa surdité s’était aggravée.
Et puis, un incident précis met fin à cette tentative d’adaptation. Un embout auriculaire mal conçu provoque une inflammation du nerf trijumeau, entraînant des douleurs faciales et cervicales intenses pendant des mois. Les médecins peinent à identifier la cause, et les traitements restent inefficaces jusqu’à ce qu’une échographie révèle l’origine du problème.
Depuis, chaque maladie, chaque épisode de froid intense ou de stress réveillent ces douleurs.
Pourquoi parler aujourd’hui ?
Pendant des années, Diana Davis a refusé de reconnaître publiquement son handicap. Il y a six ans, elle affirmait même être guérie. À l’époque, elle expliquait ce déni par un besoin de protection : elle ne voulait pas être perçue différemment, ni réduite à son diagnostic. Les commentaires parfois violents l’avaient profondément affectée.
Le déclic est venu récemment, à la fois grâce à une maturité personnelle nouvelle et à l’exemple du danseur français Geoffrey Brisseau, qui a révélé souffrir de dyslexie. Diana a été frappée par les réactions positives suscitées par cette annonce. En parallèle, de nombreux messages privés de personnes malentendantes, et surtout celui d’une jeune fille convaincue qu’un tel diagnostic rendait impossible une carrière sportive, l’ont poussée à agir.
Elle a compris que son silence pouvait, malgré elle, renforcer la peur et le sentiment d’exclusion chez d’autres.
Patiner, écouter, ressentir autrement
Contrairement à ce que beaucoup imaginent, la musique n’est pas un obstacle majeur pour Diana Davis. Elle entend parfaitement le rythme, la pulsation et la structure musicale. Ce sont les paroles qui lui échappent presque toujours. Dans le travail chorégraphique avec Gleb Smolkin, cela peut parfois créer des incompréhensions, notamment lorsqu’une action doit correspondre à une phrase précise.
La solution repose sur la confiance, la mémoire du tempo et le ressenti commun. Diana explique que tout devient plus simple lorsque la musique lui plaît réellement, lorsqu’elle « s’imprime » naturellement en elle.
Dans la vie quotidienne, elle s’adapte en permanence. Elle regarde tous les films et séries avec des sous-titres, quelle que soit la langue, car les dialogues se perdent souvent dans le bruit de fond. Les messages vocaux sont difficiles à comprendre, et elle se réjouit de l’existence des outils de transcription automatique. Elle mène ainsi une vie sociale normale, écoute de la musique, sort, danse et explore sans cesse de nouveaux univers artistiques.
Son témoignage se veut avant tout un message d’espoir. Pour les enfants, les adolescents et les sportifs confrontés à un diagnostic similaire. Elle veut rappeler une chose essentielle : ce handicap ne définit ni la valeur d’une personne, ni ses limites.
Rédigé par
Delphine Toltsky
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Mon site est consacré au patinage artistique, mais il va bien au-delà de la simple performance sportive.
J’y explore aussi les réalités complexes qui entourent les athlètes de haut niveau : dopage, harcèlement, tca, santé mentale.
J’aborde également les questions de genre ainsi que les dimensions politiques et géopolitiques du sport, pour proposer une réflexion critique sur le monde du patinage et, plus largement, sur l’univers du sport.
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